mardi 16 octobre 2012

La barque le soir - Vesaas - Régy

avec Yann Boudaud
et Olivier Bonnefoy et Nichan Moumdjian
lumières Remi Godfroy
scénographie Sallahdyn Khatir
son Philippe Cachia
mise en scène Claude Régy
aux ateliers Berthier jusqu'au 3 novembre 2012

Ce n'est pas facile de s'exprimer sur le travail de Claude Régy car il nous fait vivre une expérience toute personnelle et sensorielle, un voyage intérieur dont le témoignage est subjectif.
Nous pouvons commencer par ce qui a sans doute inspiré le metteur en scène : le texte sublime de l'auteur. Nous est présenté ici un court extrait tiré de "La barque le soir" de l'écrivain Norvégien Tarjei Vesaas, relatant la tombée à l'eau d'un homme, sa dérive et son sauvetage. C'est un auteur qui nécessiterait à lui seul un article, tant son écriture est saisissante de beauté et de poésie. Il a un talent de précision rare, qui rend la lecture très visuelle, ceci est précieux au théâtre et invite à toutes les imaginations. 

Pour porter ce texte magnifique, Claude Régy a créé un écrin. Nous sommes installés dans la pénombre, une faible lumière rouge sombre baigne l'espace et nous enveloppe. On devine une traverse blanche de part en part et une bâche de plastique suspendue évoque par ses mouvements irréguliers, comme une forêt sous la neige. Un presque silence règne, désiré par le metteur en scène, précisé à l'entrée, quelques spectateurs chuchotent malgré tout. Une torpeur nous saisit, effet sans doute voulu également, une invitation à la rêverie.
Le comédien paraît enfin et nous emmène loin. Il entre dans une concentration absolue de ce qu'il a à dire, nous suspend à ses mots rendus indispensables par cette mise en scène. Il dessine parfois quelques gestes qui accompagnent ce qu'il raconte comme on tient délicatement un enfant par la main lorsqu'il fait ses premiers pas. 

photo Pascal Victor

L'histoire de cet homme qui glisse, qui coule, qui remonte, qui s'agrippe, qui se noie presque, qui revient... nous sommes à la fois haletants à son devenir, tout en étant bercés par les mots et la lenteur des gestes. Le drame qui se déroule contraste par la délicatesse de la présentation et la somnolence provoquée par la concentration, la pénombre, l'articulation des mots. On tente d'interpréter les lignes entre les lignes de ce texte, parfois en vain, nous sommes nous mêmes attirés par les profondeurs, nous glissons... Les nappes de sons qui entourent le comédiens et nous portent ou nous réveillent, sont parfaitement ajustées comme cette lumière qui n'est que nuances d'obscurités. Tout un travail d'orfèvres pour chacun des intervenants de ce spectacle. 

Soudain des grognements de l'acteur nous tirent de la rêverie. Un chien, un chien, nous sommes au théâtre voyons ! Nous l'aurions presque oublié ! Ce passage est très concret, très vivant, remuant, dérangeant. Décidément Régy souhaite nous secouer tant qu'il le peut, par tous les moyens. 

Ce qui est étonnant dans ces mises en scènes, auxquelles on s'habitue, ou pas, qui nous dérangent ou nous subjuguent, c'est l'emprise inconsciente que cela a sur nous. Il y a un par delà le texte, un au delà du théâtre, une tentative de rejoindre quelque chose chez nous qui vibrerait, ensemble, ou dans une solitude, mais qui serait une expérience "bullaire" et troublante pour peu qu'on s'y laisse glisser. A la fois nous ne sommes pas habitués à cela au théâtre, à la fois n'est-ce pas la mission du théâtre ? Régy reste un grand génie de la mise en scène à savourer encore tant qu'il est là.

A saluer bien sûr la performance du comédien qui est exceptionnel et qui transcende le texte dans un justesse éblouissante.