lundi 12 décembre 2011

Golgotha Picnic - Garcia



Création de Rodrigo Garcia
avec Gonzalo Cunill, Marino Formenti, Nuria Lloansi, Juan Loriente, Juan Navarro, Jean-Benoit Ugeux
Musique Joseph Haydn
Théâtre du Rond Point jusqu'au 17 décembre 2011

Bien sûr ces temps derniers, beaucoup de bruit a été fait autour de cette création ainsi que de celle de Castellucci au Châtelet, à cause des réactions des catholiques intégristes. Il est vrai qu'il est difficile donc de juger la pièce en dehors de cette actualité. Lorsqu'on arrive au théâtre du Rond Point on est forcément estomaqué par le dispositif policier mis en place. Il est nécessaire de franchir 4 barrages avant de rentrer en salle, fouille au corps, détecteur de métal... On se croirait à l'aéroport. A mon sens c'est triste d'en arriver là. Qu'en 2011 on en soit encore avoir recours à la police pour permettre à une oeuvre de s'exprimer. Quelques semaines après l'attentat dont a été victime Charlie Hebdo pour sa couverture provocante certes, mais surtout humoristique, on sent vraiment une ambiance inadmissible autour de la liberté d'expression et le sujet qui n'en fini pas d'être tabou, les croyances. C'est un véritable sujet de réflexion, alors que nous sommes dans un monde de plus en plus matérialiste, il est toujours aussi compliqué de toucher à la religion. Comme quoi...

Ainsi la création de Rodrigo Garcia commence par un texte d'excuses : "J'ai honte de présenter un spectacle sous la protection d'un tel dispositif" nous dit l'auteur... La salle applaudit. La comédienne commence par une liste d'horreurs que l'humain fait à l'humain depuis la nuit des temps, et là encore cela fait entre autres écho à celles prodiguées par les guerres de religions. Le plateau est recouvert de pain à hamburger, la multiplication des pains d'aujourd'hui ! Le ton est donné, c'est une pièce vraiment drôle et ironique, grinçante à souhait qui se déroule. Le ton habituel de Rodrigo Garcia, une critique de la société, des pires aspects de l'homme mais aussi de son extrême folie créatrice parfois et surtout de son regard malicieux qui peut le sauver, sa capacité justement à s'amuser de tout même du pire. Il est question de Jesus en effet, sous différentes formes, des images plus ou moins caricaturales, extravagantes, provocantes... Mais toujours drôles et surtout, pour peu qu'on y jette un regard concerné, jamais gratuites et empreintes de tendresse aussi. Comme l'on ne critique jamais tant que ceux qu'on aime. La satyre d'un Jesus arnaqueur et flemmard est bien entendu à prendre au second degré (exemple : "sur des millions de gens, il n'y en a que 12 qui l'ont suivi..! ou encore "Argent pourquoi m'as-tu abandonné ?" C'est presque drôle comme une blague).

Bien sûr il y a de la nudité, des hommes habillés en femme, et une femme déguisée en Jesus, de l'alcool... Un ange déchu qui saute en parachute... Très belle image d'ailleurs. Des êtres qui pourraient être des anges ou des humains ou des Dieux, pic-niquent, palabrent, délirent, racontent... Font des échafaudages de pain avec des vers, se déguisent, se clouent sur des croix, dansent... Boivent, jouent de la musique... vivent en somme, sur le plateau. Mon avis est qu'il faut vraiment manquer d'humour pour voir une attaque frontale de Jesus ou de la chrétienté ou encore de Dieu, mais plutôt un regard sur ce message transmis depuis la nuit des temps. De toute façon il est questionnant de voir que l'on ne peut pas se moquer de la religion, alors que l'on n'hésite pas à se moquer de tout le reste. La création que j'ai faite à l'Etoile du Nord où j'étais moi-même Christ aux seins nus, déclamant le texte d'une prostituée battue, était à mon avis bien plus provocante que ce Golgota Picnic si drôle et satirique (heureusement que je n'ai pas la notoriété de Garcia, j'aurais sans doute été attaquée aussi... mais c'est resté bien confidentiel !).

Au cours de la pièce, Garcia présente des oeuvres d'art, des fresques ou peintures saintes et nous fait visiter le regard de l'homme sur ses croyances. Au final "Les sept dernières paroles du Christ sur la croix" de Haydn sont jouées au piano, instant délicieux qui donne la parole à la non parole, qui réconcilie l'homme, le public, le Christ et la création, qu'elle soit humaine ou divine, dommage que les plus concernés ne soient pas justement présents pour y réfléchir avec nous.

A voir ce n'est pas complet, ou à acheter, le texte est publié chez Les Solitaires Intempestifs
et un article ici sur le blog Chronique du RER B qui résume bien aussi ma pensée : ICI

samedi 10 décembre 2011

Coeur Ténébreux - Conrad - De Pauw - Cassiers


D'après "Au coeur des Ténèbres" de Joseph Conrad, adaptation et jeu Josse De Pauw
Mise en scène Guy Cassiers
Scénographie Guy Cassiers, Enrico Bagnoli, Arjen Klerkx
au théâtre de la Ville à Châtelet jusqu'au 11 décembre

Un plateau nu et d'immenses panneaux de bois en fond, qui se meuvent et reçoivent les couleurs vives de vidéos projetées ; c'est une très belle scénographie qui nous accueille dans les premières minutes de ce spectacle. Un homme avance, et nous relate son voyage. L'Afrique peut être, l'Amazonie... Nous nous laissons guider au gré de ses souvenirs.

Puis nous comprenons qu'il s'agit de l'Afrique, du temps des colonies. Le texte est d'une grande beauté, ciselé, précis, si littéraire, il s'entrechoque avec la violence de l'endroit décrit. Le personnage principal joué par Josse De Pauw remonte un fleuve pour aller chercher un homme, quelqu'un d'illustre, quelqu'un dont la pensée a fasciné tant ceux qui l'ont connu. Ici Guy Cassiers et le comédien ont monté un savant jeu de mélange entre l'acteur sur le plateau et les vidéos projetées sur les panneaux de bois. Tous les personnages sont joués par Josse de Pauw, et il se répond à lui même par le biais des projections. Comme un monologue intérieur, une rêverie, ou encore comme dans nos souvenirs, où nous sommes ceux que nous avons rencontrés. Le résultat est magnifique, les panneaux de bois pivotent, le comédien parle, la vidéo répond et se confond avec le comédien qui par un effet de superposition semble être dans la même pièce.

C'est un très beau moment de théâtre avec un texte qui nous fait réfléchir sur la colonisation et ce que l'Europe devient aujourd'hui, dans les suites directes de cette époque. En cette période trouble cela fait particulièrement écho, et les artistes du théâtre Belge d'Anvers Cassiers et De Pauw nous rappellent ici le devoir de mémoire. Nous sommes transportés par les images violentes et crues, ou par la beauté des paysages sauvages qui nous sont transmis par le biais d'un texte d'une telle qualité. Cela donne envie de lire les livres de Conrad si ce n'est déjà fait.

Je regrette juste une forme de monotonie dans la diction du comédien remarquable cependant de précision et de simplicité. On sent un amour profond des mots et pour ce texte qu'il a adapté et que Cassiers met en scène ici.
A voir rapidement ce joue jusqu'au 11 décembre uniquement.