jeudi 9 décembre 2010

Rêve d'automne - Fosse - Chéreau

Photo Pascal Victor/ArtComArt

texte Jon Fosse, mise en scène Patrice Chéreau
avec Pascal Greggory, Valéria Bruni-Tedeschi, Bulle Ogier, Bernard Verley, Marie Bunel, Michelle Marquais et Alexandre Styker
du 4 décembre au 25 janvier 2011 au théâtre de la Ville, châtelet.

Les nombres pairs rentrent par une porte de musée, trois salles du Louvre sont reconstituées sur le plateau du théâtre de la Ville, et les spectateurs prennent part au décor tels des passants regardant des tableaux dans un musée. Pour une fois ce sont eux les comédiens présents avant que le spectacle commence. Et puis lorsque tout le monde est installé, une vieille femme déambule pieds nus, un bouquet à la main, hagarde, semblant perdue. Et puis un jeu de cache cache commence entre Pascal Greggory, en voyageur fatigué et Valéria Bruni-Tedeschi en jeune femme blonde accrochée à son sac à main. Mais ces deux là se connaissent bien. Lorsque la parole se prend, on entre dans le texte de Jon Fosse, épuré, précis, répétitif. La répétition du texte, du mot font écho aux répétitions de la vie.

L'étrangeté des scènes qui se suivent et qui semblent avaler les années entre elles, se relaient avec des instants de vies, joués, ou rejoués, oubliés ou revécus. Le temps se tord et se distend, même les personnages parfois ne semblent plus savoir s'ils se souviennent, ou s'ils ont peur et imaginent ce qui pourrait se passer. Tous se retrouvent là, dans un cimetière, à l'origine du texte de Fosse, devenu musée pour Chéreau. Etrange parallèle qui n'a pas semblé vexer le Louvre... Un homme, une femme, les parents de cet homme, l'ex femme de cet homme... Mais la comparaison peut exister, entre les vivants qui observent les morts et les morts qui semblent encore présents et nous regarder aussi. Mais qui est vivant et qui est mort ? Chéreau a d'ailleurs rajouté deux personnages, la grand-mère et le fils de l'homme, qui ne sont pas dans le texte, et qui sont présents, comme des âmes errantes, au fil des scènes.

Tout le monde se court après, tout le monde tente de se faire entendre de l'autre, de faire entendre son amour, son désir, ses peurs... Comme si dans l'écoute il y aurait un espoir d'être sauvé. Comme si les morts rôdaient, appelant notre mort, comme s'il fallait être attentifs les uns aux autres pour continuer à vivre. Chéreau orchestre un ballet de mouvements, d'entrées et de sorties des comédiens, d'errances, des vivants et des morts, pour que tous prennent part à la danse des âmes. La tension de l'écriture de Fosse est bien là, l'anormalité des gens normaux, les liens qui se tissent malgré tout, et ceux qui se délitent, même dans l'amour. "L'amour et la mort, c'est pareil" dira l'homme à bout de souffle, à bout d'envie, à bout de vie. "Plus on parle de sexe, plus on parle de Dieu, et plus ce dont on parle disparaît et il ne reste plus que les mots."

Ce sont les femmes qui viendront à bout de tout le monde dans cette pièce au souffle retenu et aux tentatives échouées d'échappatoire. La mise en scène très cinématographique de Chéreau, me fait penser qu'il a peut être perdu de son incisivité au théâtre. La musique (encore Anthony & the Jonhson qu'on retrouve partout...) ou les bruits sourds qui accompagnent les situations sont très en soulignement de ce qui se passe et ce n'était pas nécessaire. On sent la maîtrise absolue de ce metteur en scène remarquable qui aligne les chefs d'oeuvres depuis 40 ans. La direction d'acteurs totalement parfaite, le rythme impeccable, tout est carré, mais sans prise de risque, une mise en scène de quelqu'un qui maîtrise tellement son art, qu'on a le sentiment qu'il ne va plus au théâtre voir ce qui se fait aujourd'hui. Cette ronde monotone de vie et coupante dans les peurs, dans les rejets des uns et des autres, dans l'angoisse de la fuite désespérée de l'être aimé, si chère à Jon Fosse, reste malgré tout assez collée au plancher et poussiéreuse, comme un musée peut-être ?

mercredi 8 décembre 2010

Baal - Brecht - Orsoni

de Berthold Brecht mise en scène par François Orsoni
avec Mathieu Genet, Alban Guyon, Clothilde Hesme, Tomas Heuer, Thomas Landbo, Estelle Meyer et Jeanne Tremsal
au théâtre de la Bastille du 30 novembre au 22 décembre 2010

Des comédiens sur le plateau quand le public entre, une grande table et des sièges, des fauteuils, un pain de glace qui fond et des portants pour les costumes des comédiens... Un avant goût de ce que nous allons voir, du théâtre "cuisine", c'est à dire dont on voit toute la fabrication et qui se veut contemporain, avec un certain sentiment de bricolage.

C'est un peu du grand virevoltage qui surprendrait peut-être Brecht, on est absolument pas dans la distanciation, mais malgré tout il y a de savoureux éléments dans ce Baal original. Tout d'abord et surtout la comédienne Clothilde Hesme qui endosse le rôle masculin avec merveille, tout en provocation et en tour de force, elle est juste tout du long, entraînante et convaincante, même si ce n'est pas un parti pris de mise en scène, mais de distribution, cela fonctionne parfaitement. Du coup le personnage principal en devient moins misogyne, et les rapports de séduction qu'il entretien avec les femmes et ses amis sont délicieusement ambigus. Ensuite toute la métaphore de l'eau, représentée en pain de glace sur la table qui fond pendant toute la représentation, créant une petite rivière, mais aussi par toutes ces bouteilles bues, remplies d'eau au lieu d'alcool, le pain qui est régulièrement frappé violemment par Baal avec un club de golf (brisons la glace...), ou encore cette eau qu'on crache, qu'on se renverse sur la tête... cette eau qui ressemble à tout ce dans quoi on se noie.

Ecrite aux lendemains de la première guerre mondiale, cette pièce a un goût d'absolu et de défoulement, une envie dévastatrice de profiter de la vie sans artifices superficiels, et d'aller jusqu'au bout de tout, même si c'est pour faire preuve d'ultime égoïsme et de détruire ceux qui nous entourent au passage, ainsi que nous-mêmes. Baal, sans doute un peu Brecht lui-même, auteur et poète qui mêle son art à sa vie. Baal le poète maudit, qui tente de se faire comprendre mais qui finalement se heurte à l'étrangeté de l'autre. Baal tenaillé par son désir incessant des femmes, et son incapacité à tenir en place, son rêve de liberté totale, le reflet d'un Brecht tout jeune qui écrit sa première pièce.

François Orsoni qui dit craindre l'ennui au théâtre, parsème sa mise en scène de bouffonneries qui fonctionnent parfois très bien (la scène du champagne est délirante) parfois beaucoup moins bien (les passages rock'n roll sont assez embarrassants). Ce qui pourrait tendre à en faire un théâtre distrayant alors que ce n'est pas tout ce qu'on peut trouver chez Brecht. C'est à dire que l'on picore chez l'auteur des éléments, mais pas tout, et le reste on le crée à sa sauce, on ajoute au texte quelques impros contemporaines (venir en vélib..., je vous présente un disciple de Charly Oleg...). Avec le risque que cela prenne ou pas dans cette volonté de rendu contemporain à tout prix. Et surtout que certains éléments manquent, par exemple la pièce est trop pudique et légère à mon sens, par rapport à la sexualité et les tensions morbides qu'elle contient. Les comédiens sont assez inégaux dans ce Baal et l'on en ressort mitigé, entre la sensation d'avoir vu une jolie performance et un travail inabouti, peut-être parce que la pièce en elle-même est restée inachevée dans les tiroirs de son auteur.